mardi 13 mai 2008

DICTATURE EN RDC: CONGOLAIS PRENONS EN CONSIDERATION NOTRE PAYS






1885-1995 : De la colonisation à la dictature,


le Congo-Zaïre en coupe réglée
Depuis que le roi belge Léopold II (1835-1909) en fit une colonie privative saignée à blanc, les habitants du Congo paraissent voués à servir d’autres intérêts que les leurs. De Léopoldville à Kinshasa, leur histoire bégaie dans les intrigues nouées sans relâche dans des officines occidentales ou africaines qu’agitent des appétits économiques insatiables. De leur côté, qu’ils se revendiquent Zaïrois ou Congolais, ou même qu’ils soient suspectés de «nationalité douteuse» parce que rwandophones, ceux qui peuplent ce vaste territoire en forme de corne d’abondance, villageois et citadins n’ont cessé de s’entredéchirer, leurs idéaux d’indépendance se fracassant sur des querelles de clôtures animées par les tenants du pouvoir centralisé dans la lointaine capitale. Trahisons, meurtres, sécession, rébellions, répressions, massacres, mercenaires, casques bleus… déjà, de la «Table ronde» organisée à Bruxelles à l’heure de la décolonisation en 1960, jusqu’à la Conférence nationale de 1990-1993, le peuple congolais a vu lui échapper la souveraineté confisquée par Joseph Désiré Mobutu Sese Seko, trois décennies durant. Chronologie : première partie.

1885 : Appâté par les perspectives commerciales «illimitées» décrites par l’aventurier britannique Henri Morton Stanley, le roi Léopold II de Belgique se déclare souverain sur le territoire qu’il s’approprie sous le nom d’Etat indépendant du Congo.
1908 : Sous la pression de l’opinion internationale mise au fait de l’exploitation sanguinaire qu’il pratique dans ses possessions, Léopold II lâche ses territoires au profit de la Belgique. L’Etat indépendant du Congo est rebaptisé Congo belge.
1923 : La Société des Nations (SDN) ratifie le mandat confié à la Belgique sur le Ruanda-Urundi après la défaite allemande dans la Première Guerre mondiale.
1925 : L’administration du Ruanda-Urundi est rattachée à celle du Congo belge.
6 août 1945 : L’uranium qui a servi à la fabrication de la bombe nucléaire larguée par les Etats-Unis sur la ville japonaise Hiroshima provient du Congo belge.
4-7 janvier 1959 : A Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa), la répression des premières émeutes anti-coloniales fait des centaines de morts.
13 janvier 1960 : La Belgique annonce des réformes destinées à conduire à l’indépendance.
20 janvier-20 février 1960 : Bruxelles convoque à une «Table ronde» les représentants des partis nationalistes actifs tout au long des années cinquante. Les discussions débouchent sur un calendrier électoral programmant l’indépendance.
11-25 mai 1960 : Les législatives sont remportées par le parti du très charismatique Patrice-Emery Lumumba, le Mouvement national congolais (MNC) fondé en 1956, qui réclame le droit de former le premier gouvernement indépendant. Dans la province minière du Katanga, Moïse Tshombe fait carton plein avec son parti Conakat dominé par sa communauté lunda.
Le Congo est indépendant, le Katanga fait sécession
30 juin 1960 : L’indépendance du Congo belge est proclamée. Elu par les sénateurs, le premier président de la République du Congo sera Joseph Kasa Vubu. Patrice Lumumba est nommé Premier ministre. La guerre civile commence. Le Conakat de Tshombe donne la chasse aux Kasaïens du Katanga.
5 juillet 1960: Les troupes congolaises de la Force publique belge se mutinent. Des dizaines de milliers de Belges fuient le pays.
8 juillet 1960 : Nommé chef d’état-major, Joseph-Désiré Mobutu entreprend l'africanisation de l'encadrement militaire.
11 juillet 1960 : Moïse Tshombe proclame la sécession du Katanga (au sud-est), avec l’appui de la Belgique et de l’Afrique du Sud. Ses «gendarmes katangais» entrent en scène.
13 juillet 1960 : Des troupes belges débarquent à Léopoldville (Kinshasa).
14 juillet 1960 : Sollicité par Kasa Vubu et Lumumba, le Conseil de sécurité des Nations unies appelle Bruxelles à se retirer et dépêche des casques bleus au Congo.
8/9 août 1960 : Fort de soutiens occidentaux et sud-africains, Albert Kalondji proclame l'Etat autonome du Sud-Kasaï diamantifère, frontalier du Katanga.
12-13 août 1960 : Le secrétaire général des Nations unies, Dag Hammarskjöld négocie avec Tshombe à Elisabethville (Lubumbashi) l’entrée de casques bleus au Katanga en échange du statu quo sécessionniste.
26 août 1960 : Un télégramme de la CIA rendu public depuis lors recommande la mise à l’écart de Lumumba, une «priorité» dans la stratégie américaine au Congo.
5 septembre 1960 : Soutenu par l’Onu et les Etats-Unis, Kasa Vubu destitue le Premier ministre Lumumba ainsi que six autres ministres et en appelle à Mobutu. Antoine Gizenga, compagnon de route de Lumumba, proclame une République populaire du Congo à Stanleyville (Kisangani).
11-12 septembre 1960 : Bruxelles monte l’opération Barracuda pour éliminer Patrice Lumumba.
14 septembre 1960 : Mobutu instaure un collège de commissaires généraux qui écarte le gouvernement de Joseph Iléo installé par Kasa Vubu à la place de Lumumba.
6 octobre 1960 : Lumumba doit être écarté de manière définitive, insiste le ministre belge des Affaires étrangères en charge des Affaires africaines, Harold d’Aspremont Lynden.
1er décembre 1960 : En fuite de son domicile où il a été mis aux arrêts le 10 octobre, Lumumba est arrêté dans le Kasaï et transféré au camp militaire de Thysville dans le Bas-Congo.
Lumumba assassiné, Mulele soulève les Maï-Maï, Mobutu prend le pouvoir


17 janvier 1961 : Patrice Lumumba est torturé et assassiné au Katanga par des policiers belges comme on l’apprendra en 2000.
18 septembre 1961 : Le secrétaire général de l’Onu, Dag Hammarskjöld est tué dans le crash de son avion sur le territoire de l’actuelle Zambie.
1962-1963 : L’Onu met fin à la rébellion de Gizenga à Stanleyville (Kisangani), dans l’Est.
17 janvier 1963 : Sous pression internationale, Moïse Tshombe accepte de renoncer à la sécession du Katanga en échange du maintien de son leadership politique sur la région où il a remporté les législatives de mai 1960.
Janvier 1964 : Pierre Mulele lance un soulèvement depuis son maquis du Kwilu actif dans l’Ouest depuis six mois. Hostiles à la politique de Kinshasa qu’ils estiment inspirée par les «Blancs», des milices tribales Maï-Maï s’organisent. Quelque mois plus tard, s’ouvre à l’Est le maquis de Gaston Soumialot auquel participera Laurent-Désiré Kabila ancré, lui, sur les rives du lac Tanganyika.
1er juillet 1964 : Le président Kasa Vubu en appelle à Moïse Tshombe pour tenter d'enrayer le soulèvement contre Kinshasa qui gagne du terrain.
24 novembre 1965 : Une intervention belgo-américaine composée de centaines de mercenaires appuie la reconquête par Mobutu des territoires conquis par les rebelles dans l’Est : Albertville (Kalemie), Stanleyville (Kisangani), Kindu, où l’Argentin Che Guevara et des combattants cubains se sont efforcés pendant quelques mois d’organiser les maquis de Soumialot et de Kabila avec le soutien notamment du président tanzanien, Julius Nyerere, mais aussi de combattants tutsi chassés du Rwanda par la «Révolution sociale» de 1959. A Léopoldville (Kinshasa), le général Mobutu prend le pouvoir, proclame la Deuxième République et suspend tous les partis.
Janvier 1966 : Léopoldville devient Kinshasa.
17 avril 1967 : Mobutu crée son parti-Etat, le Mouvement populaire de la Révolution (MPR), dont chaque Congolais devient membre dès sa naissance.
Octobre 1967: Piégé à Brazzaville, Pierre Mulele est livré à Kinshasa et torturé à mort.
Juin 1968 : En exil en Angola, les anciens partisans de la sécession du Katanga, parmi lesquels les «gendarmes katangais» créent un Front de libération national du Congo (FNLC).
Juin 1969 : Moïse Tshombe meurt en Algérie où il a été placé en résidence surveillée, en 1967, lorsque l'avion qui le transportait en exil en Espagne a été intercepté.
Authenticité et guerres du Shaba

Octobre 1971: Joseph-Désiré Mobutu décrète «l'authenticité». Il prend le nom de Mobutu Sese Seko kuku Ngbendu Wa za Banga et rebaptise le pays Zaïre.
8 mars 1977 : Le FNLC attaque le Katanga devenu Shaba. Mobutu en vient à bout avec le concours d’un corps expéditionnaire marocain et d’une aide logistique française.
Mai 1978 : Venus cette fois de Zambie, les ex-gendarmes katangais attaquent Kolwezi, au Shaba, où ils prennent des otages européens. L’intervention de parachutistes français et belges permet aux troupes zaïroises de reprendre la ville. Arrivée le mois suivant, une force panafricaine de maintien de la paix composée en majorité de Togolais restera un an au Shaba.
15 février 1982 : Nationaliste de la première heure, Etienne Tshisekedi se détache de Mobutu et fonde dans la clandestinité le premier parti d’opposition, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS).
Avril 1990 : Jean-de-Dieu Nguza Karl i Bond crée l’Union des fédéralistes et républicains indépendants (Uferi) dans le Shaba.
24 avril 1990 : Sous la pression d’un vaste mouvement populaire et dans la foulée du tournant démocratique qui semble se profiler en Afrique, Mobutu autorise le multipartisme. Confronté à des critiques internationales pour la faillite de l’économie et des infrastructures nationales, il accepte l’ouverture d’une Conférence nationale.
Nuit du 10 au 11 mai 1990: Le massacre de dizaines d’étudiants de l’université de Lubumbashi entraîne la rupture de la coopération belge. La Belgique, la France et les Etats-Unis restreignent l’accès des dignitaires zaïrois à leurs territoires.
19 mai 1991 : La Conférence nationale se déclare souveraine.
Septembre 1991 : La grogne des militaires en mal de soldes se traduit par 117 morts, des pillages et l’évacuation de plus de 9 000 expatriés dans tous le pays.
La Conférence nationale lance le bras de fer entre Mobutu et Tshisekedi

1er octobre 1991 : Nommé Premier ministre le 22 juillet par Mobutu, ce qu’il avait refusé à l'époque, Etienne Tshisekedi est cette fois élu par la Conférence nationale, ce qu’il accepte. Mobutu refuse. C’est le début d’un bras de fer.
23 octobre 1991 : Mobutu nomme Premier ministre Mungul Diaka auquel succède rapidement Nguz Karl I Bond.
22 janvier 1992 : Nguz Karl i Bond invoque une tentative de coup d’Etat pour mettre fin à la Conférence nationale souveraine (CNS).
16 février 1992 : 500 000 personnes participent à Kinshasa à une Marche des chrétiens qui réclame la poursuite de la CNS, avec l’appui des Eglises.
14 août 1992 : Alors que la CNS réitère la nomination du Kasaïen Etienne Tshisekedi comme Premier ministre de la transition, Nguz Karl i Bond lance ses milices de l’Uferi dans une chasse aux Baluba du Shaba, avec l’appui du gouverneur Kyungu wa Kumwanza. Accusés d’avoir monopolisé les meilleurs postes au Katanga, ils se replient par milliers au Kasaï.
Décembre 1992 : La CNS se referme sur un programme de mise en place d’institutions de transition chargées de conduire à des élections «libres et transparentes».
Janvier 1993 : A Kinshasa, Mobutu destitue une fois de plus Etienne Tshisekedi et nomme Faustin Birindwa Premier ministre. Une nouvelle grogne militaire fait des centaines de morts dans la capitale et provoque le départ de plus de 2 000 expatriés. Dans le Shaba, près de 100 000 Kasaïens fuient les milices de l’Uferi. Dans le Nord Kivu, des affrontements ethniques font près de 2 000 morts.
Janvier 1994 : 738 des 2 800 participants de la CNS forment un Haut conseil de la république/Parlement de transition (HCR/PT) présidé par l’archevêque de Kisangani, Mgr Laurent Monsengwo Pasinya. Ce Parlement de transition doit conduire d’ici le 9 juillet 1995 à des élections. Les dernières élections parlementaires ont eu lieu le 6 septembre 1987 et la dernière présidentielle remonte au 28 juillet 1984 qui avait vu la réélection du candidat unique, Mobutu (avec 99,16% des suffrages).
22 juin 1994 : La France installe au Kivu, à Goma, le QG de l’opération Turquoise dont bénéficieront certains artisans du génocide au Rwanda exfiltrés au Zaïre.
14-18 juillet 1994 : Plus d’un million de Rwandais se réfugient au Zaïre avec armes et bagages après la prise de Kigali par l’Armée patriotique rwandaise (APR) commandée par le général Paul Kagame.
10 août 1994 : Paris annonce la reprise de sa coopération avec le Zaïre.
19-24 août 1995 : Le gouvernement expulse quelque 13 000 réfugiés rwandais et burundais de l'est du Zaïre. L’opération de «rapatriement forcé» s’interrompt sur des négociations avec l’Onu, Mobutu exigeant le «rapatriement volontaire» de tous les réfugiés rwandais (au moins 1,2 million) avant le 31 décembre 1995.
Fin 1995 : La transition se lézarde, Tshisekedi s’opposant à Mgr Monsengwo, ce dernier est destitué dans la confusion et l’illégalité de la présidence du Parlement de transition, après la nomination de Kengo wa Dondo comme Premier ministre. Mobutu décrète la prolongation de la transition jusqu’en juillet 1997.
Deuxième partie : De Mobutu à Kabila, les deux guerres du Congo (1996-1998)

LES ENFANTS DE LA RUE




QU’EST-CE QUE LES ENFANTS DE LA RUE ?

Les recherches en sciences sociales qui ont été conduites ces dernières années auprès des enfants marginalisés, dans de nombreuses situations différentes à travers le monde, aboutissent à des conclusions précises, que l’on peut résumer ainsi :


1 - Il existe, dans tous les pays où la société a été plus ou moins déstructurée, une catégorie clairement identifiable d’enfants et de jeunes qui vivent, livrés à eux-mêmes, dans l’espace public des centres-villes, en rupture plus ou moins profonde avec ce que chaque société définit comme la situation normale pour un enfant. Depuis 1985, il a été convenu d’abandonner toute terminologie stigmatisante ("pré-délinquants" etc.) pour ne parler à leur propos que d’enfants "de la rue", expression qui se veut simplement descriptive de leurs conditions de vie. La caractéristique déterminante de ces enfants est de vivre en permanence dans les divers lieux publics, en particulier d’y dormir la nuit.


Les enfants de la rue ont pour ressources de petites activités (parfois assez rentables) comme la mendicité, la garde des voitures, le port des paquets, le vol, moins souvent la fouille des ordures, la prostitution... Malgré certains cas d’interférences, ils forment une population nettement différente des enfants dits "dans la rue", ceux qui ne sont dans les espaces publics que pour y travailler et qui continuent à vivre au sein de leur famille, dont ils sont souvent un soutien financier important.


2 - D’une ville à l’autre, d’un continent à l’autre, ces enfants, qui vivent dans des conditions de précarité similaires, présentent de nombreux traits psychologiques semblables, en particulier :


contraints à une logique de survie au jour le jour, ils ne vivent que dans l’instant, sans passé comme sans avenir, même immédiat ;


leur relation au monde est avant tout instrumentale : habitués à subir toutes les formes de mépris et d’exploitation, ils cherchent leur intérêt immédiat par n’importe quels moyens ;


toujours aux aguets, ils sont remarquablement vifs et perspicaces, prompts à s’adapter à tout (si, du moins, leur intelligence n’a pas été rongée par la drogue) ;


quel que soit leur âge, ils sont tous simultanément très mûrs et très enfantins ;


ils sont passionnément attachés à leur liberté et développent, pour la défendre, beaucoup d’énergie et de courage (par contre, la force de leurs liens de solidarité est très variable). Ce sont donc de fortes personnalités, mais qui restent aussi, quand ils peuvent le manifester, des enfants comme les autres.


3 - Ces enfants et ces jeunes, dont les âges s’échelonnent en général entre 8-10 ans (parfois beaucoup moins) et 18-20 ans (parfois un peu plus), ne sont jamais très nombreux (hormis quelques cas très exceptionnels) : ils sont le plus souvent quelques centaines, au plus quelques milliers dans les plus grandes métropoles. Les chiffres catastrophiques(en millions) lancés par les médias et certaines grandes organisations reposent sur des amalgames sans fondements solides, et sont dénués de toute crédibilité.


4 - Les études sur les causes du phénomène dans les diverses situations analysées jusqu’ici aboutissent pratiquement toutes à la même conclusion : ces enfants sont avant tout les victimes d’une défaillance de leur cellule familiale, volontaire (surtout par l’instabilité conjugale, exacerbée en milieu urbain, mais aussi, parfois, du fait de diverses croyances stigmatisant un enfant "portemalheur"...) ou non (orphelins, réfugiés des guerres ou des famines...), dont les raisons peuvent être très variées, dans les campagnes comme dans les villes.


Il ne s’agit pas d’un effet direct de la pauvreté (les familles aux limites de la survie restent souvent remarquablement solidaires), et les phénomènes de fuite des enfants peuvent toucher aussi des couches sociales relativement favorisées. Cependant, l’appauvrissement brutal d’une société peut provoquer son délitement rapide, dont les enfants en situation fragile seront les premières victimes. C’est ainsi que, dans les régions bien scolarisées, l’abandon de l’école, quand la famille ne peut plus en assumer les frais, est très souvent le déclic de la rupture avec la société.


5 - Ces enfants en rupture avec leurs proches sont donc tous en profonde carence affective, ce qui conditionne beaucoup de leurs comportements, aussi bien pour les risques de se réfugier dans la drogue que pour leur réponse face à une offre d’amitié sincère. Cette demande affective de l’enfant de la rue(quel que soit son âge) est en fait le seul véhicule possible par lequel les adultes peuvent renouer un lien avec lui, ce qui exige une approche fortement personnalisée.


6 - Dans la rue, l’enfant livré à lui-même évolue selon une "carrière" aux étapes franchies plus ou moins vite :

rupture avec la famille, progressive ou brutale selon les cas

découverte d’une nouvelle vie (angoissée ou -plutôt- amusée, ludique)

intériorisation et revendication de l’identité marginale, crânement assumée,

puis installation dans une routine où finit par s’engluer toute espérance de changer de vie.
Dans le monde de la rue, les rapports entre grands et petits sont avant tout d’exploitation, plus ou moins violente, seulement tempérée en échange"protection contre soumission" quand il y a structuration en bandes. En grandissant en force et en détermination, l’enfant maltraité par les grands deviendra maltraitant, le racketté deviendra racketteur, le violé violeur (forme extrême d’affirmation du pouvoir du plus fort, par l’appropriation du corps du plus faible).


Avec le temps, la marginalisation et la stigmatisation sociale s’accroissent, ainsi que les risques du passage à une délinquance de plus en plus grave, ou à la mort dans la rue. De nombreuses observations montre que, sauf exceptions, l’enfant de la rue ne revient pas tout seul à un mode de vie normal.

7 - L’observation des diverses situations montre que, laissé à lui-même, le monde des enfants de la rue évolue spontanément vers une aggravation de la situation. Plusieurs étapes se succèdent, que l’on ne voit jamais régresser spontanément :
a) Les débuts sont discrets : les catégories restent floues et les situations fluides. Ni l’opinion publique, ni les autorités, ni les enfants eux-mêmes n’ont conscience du phénomène.
b) La stabilisation signifie que le nombre des enfants est assez important pour que le problème soit identifié par tous. L’organisation collective ne dépasse pas le groupe instable de pairs. (C’est la situation la plus fréquente dans le monde.)
c) La structuration correspond à un durcissement des conditions de vie qui pousse les enfants à s’organiser en bandes pour assurer leur défense mutuelle, autour d’un leader qui sait s’imposer. Les bandes affichent leur identité par divers codes spécifiques, en particulier des rites d’entrée ; le pouvoir y est le plus souvent (mais pas toujours) le résultat du seul rapport de force ; l’enracinement territorial conduit à des guerres de frontières. En lui fournissant sécurité, entraide, identité, la bande offre à l’enfant un mode de survie acceptable, qui le rend moins demandeur de retour à la normale.
d) La féminisation du monde de la rue (surtout fréquente en Amérique latine, où le nombre de filles peut atteindre un quart des enfants de la rue) est significative d’une grave détérioration des conditions sociales générales, car, habituellement, les filles sont exploitées, mais pas abandonnées. Leur fuite vers la rue est le produit de situations familiales intolérables(en particulier du viol incestueux). Leurs conditions de vie dans la rue sont particulièrement dramatiques (la prostitution est en général systématique, supportée par le refuge dans la drogue) : en général, les bébés nés dans la rue ne survivent guère, leurs mères non plus.
e) La phase finale est la cristallisation du monde de la rue en véritable contre-société, en guerre avec le monde des adultes. La présence de filles nombreuses permet une certaine reproduction biologique ; les bandes sont toutes fortement délinquantes ; les relations avec la société ne sont régies que par la violence, dont le symbole est la "justice de la foule" qui brûle vifs les voleurs (ou présumés tels). De telles situations sont encore rares, mais elles sont l’aboutissement logique des situations de marginalité que l’on laisse s’enraciner et s’exacerber.


8 - Agir pour sortir les enfants de la rue est donc indispensable pour assurer à terme la sécurité publique. C’est possible du fait des faibles effectifs en jeu. C’est relativement facile du fait de la forte demande de retour à une vie normale des enfants en carence affective. Les méthodes existent, qui ont fait leurs preuves depuis longtemps : il faut d’abord rétablir une relation de confiance avec l’enfant, puis lui offrir une réinsertion sociale adaptée à son cas, toujours dans le respect de sa personnalité, de sa liberté et de sa culture. Ceci exige une approche personnalisée que seules peuvent faire des structures à échelle humaine.


Notons enfin que, contrairement à ce qu’affirme l’opinion commune, les plus âgés de la rue sont, en général, les plus faciles à resocialiser, car ils sont beaucoup plus conscients que les petits que la vie de la rue est une impasse. C’est même avec les plus délinquants que l’on assiste aux transformations les plus spectaculaires, quand, pour la première fois, ils rencontrent l’espoir de changer de vie.